À l’été 1956 au Dartmouth College, USA, une poignée de chercheurs (M. Minsky, H. Simon et A. Newell, pour ne citer qu’eux) conduit le premier projet de recherche en intelligence artificielle. On est loin de HAL9000…
Après 10 ans de progression, la direction que semble prendre les travaux en matière d’IA, ou « cerveaux électroniques » pour reprendre la terminologie de l’époque, rend les récits d’anticipation de plus en plus crédibles. En fait, les risques liés à une IA-Forte ancrée dans la société ne sauraient être anticipés qu’à travers la création de récits.
Stanley Kubrick et Arthur Clarke sont baignés dans cet univers et réfléchissent les conséquences d’un tel progrès technologique. Entre 1965 et 1967, ils travaillent ensemble sur un scénario dans lequel ils ont la ferme intention d’intégrer une intelligence artificielle forte ; HAL9000 allait naître dans « 2001 : l’Odysée de l’espace ».
Synopsis
Avant de parler de ce qui nous intéresse vraiment ici, c’est à dire l’attachant HAL9000, il serait bon de nous replacer dans l’ambiance. Laissez-moi donc vous raconter en quelques mots l’histoire de ce film si particulier.
Le scénario traite de trois rencontres entre les êtres humains et d’étranges monolithes rectangulaires noirs influençant l’évolution de l’espèce humaine depuis la nuit des temps.
Première partie
À l’aube de l’Humanité, une tribu ancestrale lutte pour sa survie face à une bande rivale. Soudain, un mystérieux monolithe noir apparaît. L’un des membres de la tribu le touche. C’est alors que lui vient à l’idée d’utiliser un ossement comme une arme contondante. Brandissant l’os, il passe à l’attaque et massacre ses adversaires ; Geste inédit et décisif, le premier outil était né.
Deuxième partie
Quelques quatre millions d’années plus tard, en 2001, une équipe de chercheurs menée par un certain Floyd Heywood voyage à bord d’un vaisseau spatial en direction de la Lune. Ils ont pour mission d’examiner un étrange monolithe noir qui émet des signaux stridents en direction de Jupiter.
Troisième partie
Un an et demi plus tard, le vaisseau spatial Discovery fait route vers Jupiter. A son bord, l’équipage est composé de Dave Bowman, Frank Poole, trois astronautes en hibernation et HAL9000 (une intelligence artificielle). Cependant, HAL9000 ce super-ordinateur contrôlant 100% du vaisseau, pourtant réputé infaillible, montre des signes de faiblesse. Les humains, par prudence, décident de le déconnecter.
Mais l’IA ne se laisse pas faire et tue quatre des passagers avant que le cinquième, Bowman, réussisse à éteindre l’ordinateur. Celui-ci, dernier survivant, attention spoil, découvre grâce à un message d’Heywood, qu’il existe un autre monolithe sur Jupiter. Après la fin du voyage, seul vers Jupiter, lorsqu’enfin il s’en approche, Bowman est projeté dans une autre dimension spatio-temporelle.
Quatrième partie
La dernière partie du film se passe dans cette dimension parallèle : une chambre du XVIIIe siècle remplie d’œuvres d’art. C’est ici que Bowman passera le reste de sa vie, à vitesse accélérée. Il vieillira, mourra et renaîtra sous la forme d’un fœtus.
In fine, l’ultime séquence met en scène ce fœtus flottant en orbite de la Terre. Il contemple la planète incarnant un ange, ou une nouvelle évolution de notre espèce selon les interprétations.
Making of HAL9000
Réalisé par Stanley Kubrick avec un budget de 10,5 millions de dollars, inspiré notamment par « La conquête de l’ouest », « 2001 : l’Odyssée de l’espace » est sorti au cinéma en 1968, d’après un scénario co-écrit avec le romancier Arthur C. Clarke.
2001, aborde plusieurs thèmes majeurs :
- l’évolution humaine,
- l’évolution des technologies,
- la place de l’intelligence artificielle,
- la vie extraterrestre.
Pour l’anecdote, ce n’est qu’après plusieurs essais infructueux que Kubrick trouve enfin, en 1965, le titre de son film « 2001 : l’Odyssée de l’espace » en référence à Homère.
« Pour les Grecs, la vaste étendue des mers devait représenter la même sorte de mystère que l’espace pour notre génération »
Stanley Kubrick
En outre, l’œuvre se démarque par sa cohérence scientifique, ses effets spéciaux révolutionnaires pour les 60s, ses scènes ambiguës, sa bande originale structurante et l’inutilité de ses dialogues dans l’intrigue.
2001 : un film qui divise
Fréquemment qualifié de « film épique » en raison de sa longueur et de sa construction, ce long-métrage reste difficile à classer. D’ailleurs, à sa sortie il fut reçu de manière partagée par la critique et le public.
C’est un film qui gêne, qui bouscule, mêlant des douceurs musicales et esthétiques avec les violences sonores et psychédéliques ainsi que des énigmes existentielles insolvables. Par exemple, Kubrick accompagne des scènes spatiales majestueuses avec le « Beau Danube bleu » de Johann Strauss.
De plus, il se sert de « Ainsi parlait Zarathoustra », poème symphonique de Richard Strauss, pour soutenir un concept philosophique nietzschéen. Mais surtout, la première ligne de dialogue n’intervient seulement qu’à la 25ème minute ! Sur 149 minutes de film, je vous laisse imaginer la suite.
Ainsi, on comprend bien la réaction de 241 personnes ayant quitté la salle avant la fin lors de l’avant-première ; certains même se demandaient alors : « quelqu’un sait de quoi parle ce film ? ». Pour l’anecdote, l’écrivain Isaac Asimov, défenseur d’une vision optimiste de la robotique, tellement déçu par la malveillance de HAL9000, a lui aussi quitté la salle pendant projection. Pour tout vous dire, HAL9000 a été élu 13ème meilleur méchant de cinéma de tous les temps par l’American Film Institute.
Oui, ce film est un OVNI, tout simplement. Ce film divise, il surprend notamment par sa lenteur et laisse les spectateurs seuls face à l’interrogation de la séquence finale.
2001 : film culte
Mais, « 2001 : l’Odyssée de l’espace » est le genre de film qui gagne à être connu, qui a besoin qu’on le laisse faire effet afin d’être apprécié à sa juste valeur. C’est ainsi qu’il se hissera tout d’abord en tête du box office américain, puis comme le plus grand succès de l’année 1968 devant « Funny Girl » et « La Planète des Singes ». Il vaudra d’ailleurs son seul Oscar à Stanley Kubrick : celui des meilleurs effets visuels.
Au fil du temps, il recevra son statut de film culte qu’on lui connaît aujourd’hui ; dans l’histoire du cinéma, il est un des plus grands films de tous les temps et figure même à la sixième place du classement établi par le British Film Institute.
HAL9000
Il existe plusieurs façons de comprendre cette oeuvre. Alors, pour aller à l’essentiel, et enfin me concentrer sur HAL9000, je préfère partir d’une vision que je partage de par sa logique, sa simplicité et sa puissance.
En substance, le film est un triptyque s’articulant autour de 3 événements majeurs : les 3 découvertes de monolithes. À chaque fois, la découverte s’accompagne d’une avancée fulgurante dans l’évolution de l’espèce humaine.
- En premier lieu, la rencontre d’un monolithe avec les hommes préhistoriques est suivie de la découverte du concept d’outil. Malheureusement, le premier outil serait une arme augmentant ainsi la violence des conflits. Kubrick met en scène un meurtre pour illustrer l’idée.
- Ensuite, Kubrick sous-entend que l’instrumentalisation est arrivée à son paroxysme à travers les conquêtes spatiales. C’est pour cela qu’avec l’introduction du second monolithe dans le récit entre en scène HAL9000, un intelligence artificielle dite forte. Il est ici indiqué qu’après l’invention de l’outil, le monolithe nous permet de franchir une nouvelle étape majeure dans notre évolution : la création d’une IA-Forte. L’intelligence artificielle dans l’imaginaire collectif est censée être capable de créer ses propres outils, à l’instar de l’homme. De nouveau, la mort frappe ; 4 astronautes sont assassinés.
- En dernier lieu, lorsque l’homme atteint le troisième monolithe, il vit de nouveau une évolution majeure. Il est projeté dans une dimension transcendant le temps, l’espace, les arts et donc l’existence. Par là, l’homme, via sa propre mort, renaît et devient une sorte de sur-homme, représenté par un fœtus gigantesque supposément omniscient et inoffensif.
Focus sur HAL9000
Système avancé d’ordinateur de bord, capable de participer à une conversation, HAL peut être considéré comme le sixième membre d’équipage du Discovery. Réputé infaillible, il est apte à prendre des décisions de manière autonome et gère tout le système de navigation, de contrôle et de communication du vaisseau.
Alors, quand HAL9000 annonce la défaillance de l’antenne de communication avec la Terre, Franck Poole, confiant, effectue une sortie dans l’espace pour effectuer les réparations. Pourtant, l’examen du circuit ne révèle aucune anomalie. Le doute à propos des capacités de HAL9000 se fait sentir alors. Poole et Bowman s’isolent de sorte que Hal ne puisse les entendre, et s’interrogent sur HAL9000 qui aurait commis une erreur en prédisant la panne. Ainsi, les deux hommes se demandent ce que Hal penserait s’ils envisageaient de le déconnecter. Cependant, HAL9000 suit leur conversation en lisant sur leurs lèvres au travers d’une vitre.
HAL9000 dos au mur
Hal, inquiet de son avenir, sabote la sortie suivante de Poole qui se retrouve propulsé dans l’espace sans aucun moyen de revenir. Bowman, qui croit à un accident, sort pour le récupérer. Pendant leur absence, HAL9000 en profite pour désactiver les caissons d’hibernation des trois autres astronautes et les laisse mourir. Lorsque Bowman revient au vaisseau, HAL9000 lui interdit l’accès mais l’astronaute parvient à pénétrer par une voie détournée. Par la suite, Bowman s’infiltre jusqu’à l’unité centrale de HAL9000 et déconnecte sa mémoire supérieure tout en conservant ses fonctions indispensables au vaisseau. Enfin, la personnalité de Hal régresse peu à peu. Hal s’exprime une dernière fois, semblant être conscient de sa disparition progressive.
« J’ai peur … Mon esprit s’en va, je le sens ».
Les derniers mots de HAL9000
Pour l’anecdote, avant de s’éteindre, Hal chante « Daisy Bell », qui se trouve être la première chanson chantée par un ordinateur (IBM 7094), en 1961 ; joli clin d’œil.
HAL9000 : une conscience narrative
La fonction de HAL9000 est simple : assurer le bon déroulement de la mission en veillant sur la sécurité de l’équipage.
HAL9000 est une IA-Forte reproduisant les activités cérébrales humaines. Pour aller plus loin, le fait qu’il soit éduqué renvoie à la notion proposée par Turing :
« Au lieu de produire un programme qui simule l’esprit adulte, pourquoi ne pas plutôt essayer d’en produire un qui simule celui de l’enfant ? S’il était alors soumis à une éducation appropriée, on aboutirait au cerveau humain »
Alan Turing, 1950
De surcroît, toute la mise en scène du film renforce l’idée que Hal est un « individu » doté d’une conscience propre qui va au-delà de ses performances techniques. Kubrick enfonce le clou en lui prêtant la voix d’un acteur (Douglas Rain en VO, François Chaumette en VF) à l’opposé des voix synthétiques que l’on prêtait alors aux machines dans d’autres films de l’époque. Plusieurs fois, Hal met ses actes en récit ; Hal affirme par exemple que les ordinateurs de sa série ne commettent jamais d’erreur et ne déforment jamais une donnée. En somme, HAL9000 ne se trompe pas, ne ment pas et sa conscience est assez développer pour l’exprimer dans un contexte opportun.
HAL9000, une IA complexée
Pourtant, au cours du récit, Hal doit faire face à un conflit de programmation pouvant s’apparenter à un cas de conscience. En effet, HAL9000 est programmer pour dire la vérité à l’équipage et doit en même temps lui cacher la vérité. Car lui connaît le véritable objectif de la mission, à savoir : découvrir des signes extraterrestres sur Jupiter, mais il doit aussi garder le secret afin d’éviter qu’il ne se répande aux journalistes sur la Terre. La collaboration entre l’homme et la machine est rompue.
En conséquence, ce sentiment d’imperfection, entraîne une fissure dans son « identité narrative ».
« Durant les cent derniers millions de milles, il avait ruminé le secret qu’il ne pouvait partager avec Poole et Bowman. Il vivait dans le mensonge et, très bientôt, ses collègues sauraient qu’il avait aidé à les trahir. […] Il avait seulement conscience du conflit qui, lentement, détruisait son intégrité, le conflit entre la vérité et la vérité dissimulée ».
Au sujet de HAL9000 dans le roman de Arthur C. Clark
Lorsque que Hal annonce une panne de l’antenne de transmission, il dévoile la solution à son dilemme : couper les communications lui permettrait de révéler le secret aux deux astronautes sans que ceux-ci ne puisse le dévoiler en dehors du vaisseau. Hal refuse toutefois d’admettre son erreur. Il se retrouve de nouveau piégé par un paradoxe : dévoiler son plan ou admettre qu’il est imparfait.
« Je sais que ne n’ai pas toujours été irréprochable. Je me sens maintenant beaucoup mieux. Oui, je sais que j’ai pris de très mauvaises décisions récemment. Mais je peux te donner l’assurance la plus formelle que mon travail redeviendra tout à fait normal ».
Hal 9000 sentant sa fin approcher
Sources
Beaud, V. (2002, 21 juin). 2001, l’Odyssée de l’espace. Consulté sur https://fr.wikipedia.org/wiki/2001,_l%27Odyss%C3%A9e_de_l%27espace
Allociné (2018, 13 juin). 2001, l’Odyssée de l’espace. Consulté sur http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=27442.html
Warner Bros (2018, 3 mai). WB95 : 5 choses à savoir sur : 2001, l’Odyssée de l’espace. Consulté sur https://www.warnerbros.fr/articles/2001-odyssee-espace-choses-a-savoir
Dake (2005, 16 mai). HAL 9000. Consulté sur https://fr.wikipedia.org/wiki/HAL_9000
Foubert, F. (2018, 13 mai). 50 choses à savoir sur 2001, l’Odyssée de l’espace. Consulté sur https://www.premiere.fr/Cinema/50-choses-a-savoir-sur-2001-l-Odyssee-de-l-espace
Portelli, A. (2018, 12 mai). Quand l’IA tue : 2001, l’odyssée de l’espace, ou le récit de la fin de l’espèce ? Consulté sur https://www.larecherche.fr/intelligence-artificielle/quand-l%E2%80%99ia-tue%C2%A0-2001-l%E2%80%99odyss%C3%A9e-de-l%E2%80%99espace-ou-le-r%C3%A9cit-de-la-fin-de-l