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Alan Turing et la pomme empoisonnée Les illustres

Alan Turing #3 Mémoire altérée

La mémoire altérée d’Alan Turing, voilà le sujet de ce troisième volet dans notre série « Alan Turing et la pomme empoisonnée ».

Aide mémoire

Tout d’abord, nous avons vu ensemble que le travail d’Alan Turing était resté inachevé. En effet, condamné à mort à l’âge de 42 ans, cet homme plein de ressources n’a pas eu le temps d’exploiter tout son potentiel et n’a pas pu offrir au monde tout ce qu’il avait à lui offrir.

Ensuite, je vous ai exposé ce qui, selon moi, fait que Turing était lui même une « machine de Turing » : curieuse, insatiable et mécanique.

Enfin, dans cet article, j’aimerais démontrer qu’avec le regard que l’on a aujourd’hui de lui, ce dont on se souvient de lui et ce que l’on a fait de son héritage : Alan Turing est travesti – la mémoire d’Alan Turing est bafouée.

Mais avant toute chose, si par hasard vous aviez loupé un de ces épisodes, pas de souci voici les liens vers les premiers articles de la série :

  1. Turing rattrapé par son temps
  2. La curiosité dans le sang d’Alan Turing
Buste d'Alan Turing

Turing, jeune homme hors du commun, était scolarisé à l’université de Cambridge au Royaume-Uni. Il passa 8 ans à étudier au King’s College avant de présenter sa thèse de doctorat sous la direction de son professeur Church. Pour la petite histoire, c’est d’ailleurs ce même professeur qui employa pour la première fois l’expression de « machine de Turing », concept aujourd’hui considéré comme l’introduction à l’informatique moderne. Cette thèse bouleversera profondément l’évolution technologique à venir.

Mais comment Alan Turing en était-il venu à réfléchir à ce concept si original pour l’époque ?


Disney dans l’imaginaire d’Alan Turing

1937, le film d’animation « Blanche-Neige et les sept nains » sortait au cinéma. Turing s’émerveilla de la technique déployée par les studios de Walt Disney. Avec la bonne machine, l’homme est capable d’imiter la vie… en seulement 24 dessins par seconde ! Cette idée anima Turing qui resta désormais convaincu : la différence entre cinéma et intelligence artificielle est infime. Il comprit qu’il suffisait d’inventer la bonne machine pour reproduire la vie.

« Plonge la pomme dans le bouillon, que la mort qui endort s’y infiltre. » La chansonnette de la sorcière plongeant la pomme dans le poison trottait dans la tête du mathématicien. Il s’en est certainement rappelé lors de ces longues nuits blanches, alors qu’il s’évertuait à décoder la machine Enigma, seul contre le 3ème Reich. Il avait visionné le comte jusqu’au bout. Turing le savait, Blanche Neige s’étouffe en croquant la pomme et, par un coup de chance, n’avale pas le morceau empoisonné.

Le personnage de Blanche-Neige devait lui sembler bien familier. D’un côté, l’horrible belle-mère et sa pomme empoisonnée, de l’autre, la frêle jeune fille. Il y a toujours un moyen de résister au poison… D’un côté un savant, un peu fou, et de l’autre une armée déterminée à envahir le monde.


Alan Turing et la légende de la pomme

Avez-vous déjà remarqué l’allure du logo d’Apple, et même son nom ? « Apple » en anglais veut dire pomme certes. Mais son logo n’est ni plus ni moins q’une silhouette de pomme croquée.

En fait, je me souviens encore de l’ancien logo de cette entreprise controversée. Il trônait ostensiblement sur mon premier mac.

Le premier mac, pour « Macintosh », a été lancé le 24 janvier 1984. On le connait aussi sous le nom de Macintosh 128K pour le différencier de son petit frère le Macintosh 512K. Il a fait le tout premier succès commercial de l’entreprise. Grâce à une souris et une interface graphique, remplaçant l’interface en ligne de commande, l’ordinateur conquière le grand public et Apple par la même occasion s’ancre définitivement sur le marché de l’informatique.

Oui, je me souviens bien de ce logo.

Alan Turin : Logo d'Apple ?

Souvenir, souvenir. À l’époque le logo d’Apple arborait fièrement les couleurs du drapeau gay. Le rapprochement avec Alan Turing est presque trop évident, voire même gênant. Alan Turing, homosexuel, condamné à la castration chimique pour déviance sexuelle, a mis fin à ses jours, d’après le rapport de police, en croquant une pomme aromatisée au cyanure …

La coïncidence est saisissante ! Mais, la grande marque Apple à toujours démenti le moindre rapport entre son logo et le mathématicien Alan Turing… pourquoi ? pour entretenir le mystère ou par honte ?


Alan Turing dans l’imaginaire contemporain

Apple s’est saisi de la légende d’Alan Turing pour mieux vendre ses produits, eux-mêmes hérités du génie d’Alan Turing, père de l’informatique. L’esprit d’invention du mathématicien récupéré par la soif d’innovation de l’entreprise capitaliste…

Alan Turing est mort pour renaître certes. Or, ce savant n’avait qu’une idée en tête : la liberté. Oui, la connaissance comme clef ; décrypter pour n’avoir aucune frontière ; inventer pour gagner du temps … coder des algorithmes pour décoder le monde.

Alors qu’en on connait la stratégie de développement employée par la la société à la pomme croquée – prête en enfermer ses clients dans une spirale de consommation infernale – rendant prisonniers ses utilisateurs et pratiquant l’obsolescence programmée – évidemment, il se peut qu’elle ait eu honte d’avoir un jour prétendue être héritière du grand humaniste Alan Turing.

Donc, à première vue, dans l’imaginaire de nos entreprises contemporaines, Alan Turing n’est qu’un héros de plus.

Un héros de plus qui s’est entièrement donné pour sa nation, sans rien n’attendre en retour, et dont aujourd’hui on peut exploiter les inventions et même l’image sans vergogne et, parfois même, sans respect.

Sa mémoire est altérée.

Il est clair que de ce point de vue là – c’est à dire, sans respecter un esprit de curiosité, de charité, de courage et d’abnégation – si l’on cherchait à rester dans son élan pour poursuivre sa mission, on irait droit à l’échec. Je le rappelle, Alan Turing n’était motivé que par sa promesse envers son jeune ami Christopher Morcom, pas par l’argent ou par la gloire (il travaillait dans le secret !).

Donc, pour répondre à la question posée dans le premier article, je pense qu’Alan Turing aurait pu battre son propre test selon ces conditions :

  • vivre assez longtemps ;
  • rester dans son propre paradigme.

Trajectoire déviée

Certes, Alan Turing a posé les bases de l’informatique et de l’IA. Toutefois, nous ne pourrons pas venir à bout de son test en restant sur une trajectoire qui ne serait pas la sienne aujourd’hui.

Tâchons de nous mettre à sa place et voyons ce qu’il aurait fait de nos jours.

L’analyse

  1. Certes, l’informatique moderne et ses techniques révolutionnaires de machine learning par exemple, sont des outils quasi indispensables pour créer une intelligence artificielle. L’ordinateur est incontournable mais, à l’origine, il n’a pas été réfléchi pour accueillir une IA telle qu’on pourrait la concevoir à l’heure actuelle. En fait, il est le fruit d’une évolution industrielle et commerciale constante l’orientant vers un outils à tout faire. Alors que le cerveau, lui, est dédié à sa tâche principale : commander. De ce fait, le cerveau n’a pas de logiciel de montage vidéo, pas de logiciel 3D, pas de carte graphique pour jeux vidéo super réalistes, pas de tableurs, ni de ventilateurs bruyants, etc …
  2. En outre, la biologie humaine n’est pas Enigma. On ne peut pas décrypter le cerveau humain. Typiquement, la machine Enigma est une machine mécanique qui possède de très nombreuses configurations possibles à l’instar du cerveau. Toutefois, chacune de ses configurations est prédictible alors que le cerveaux humain se reconfigure en permanence et est capable de lui-même de restituer des données apprises pour en faire des outils réutilisables. Comme avec la machine de Turing universelle, il faut prendre du recul afin de mieux considérer la dualité « signifiant-signifié ».
  3. Surtout, les motivations actuelles ne paraissent que trop commerciales, presque « gadget », sans besoin vital, hors d’un « cas de force majeure ». Pour créer une intelligence artificielle de capacité humaine, il n’y aura aucune bonne raison d’aboutir – rapidement – encore moins sans la promesse à un « Christopher Morcom »,

Avec une mémoire intacte, non altérée, voilà l’analyse rapide et pourtant fortement probable qu’Alan Turing aurait faite de la situation actuelle.


Conclusion

In fine, rappelons nous la règle simple imposée par le « Test de Turing » :

« Une machine et un être-humain parlent, un deuxième humain doit trouver lequel est la machine »

Turing, A. (1950). Computing Machinery and Intelligence.

Maintenant, regardons autour de nous, observons, analysons, faisons toutes les analogies nécessaires avec le monde réel et de grâce trouvons une bonne motivation pour définitivement hacker cette énigme toujours inviolée.

Sources

Riou, F. (2016, 3 décembre). La machine de Turing. Consulté sur Youtube.
https://www.youtube.com/watch?v=hSn7CZ2Tdow
Vinour, C. (2015, 5 avril). Le modèle informatique d’Alan Turing. Consulté sur Youtube.

Lassègue, J. (1999, 30 novembre). La Tragédie Turing. Consulté sur https://www.pourlascience.fr/sd/histoire-sciences/la-tragedie-turing-2828.php